Pour être francs, parfois on se dit qu’on est des grands malades de mettre autant d’énergie dans l’organisation d’un festival et qu’on serait mieux avec un plaid devant Netflix.
Suite à la quatrième édition du Ready For Prog Festival, l’unique festival de metal progressif en France, dans les environs de Toulouse, nous avons rencontré les organisateurs pour une interview sans langue de bois ! On en profite pour vous montrer en images les groupes présents au festival.
Interview réalisée par Thierry Bouriat
Romain, Hatem, Luc, bonjour.
Avant de nous dresser le bilan de cette 4e édition du Ready for Prog Festival qui s’est déroulé le 29 octobre dernier, pouvez-vous nous raconter la genèse du festival, les grandes étapes ? Quelle était l’ambition de départ ?
Salut. Nous sommes fans de metal prog depuis plus de 20 ans. En France, plusieurs festivals de rock progressif existaient, mais aucun de métal progressif. Alors on s’est dit pourquoi
pas ? D’autant plus que Romain, qui est à l’initiative du projet, en rêvait depuis des années.
Le projet a réellement pris tournure en 2015 avec la rencontre d’Hatem, qui organisait déjà des concerts et des spectacles sur Toulouse et sa région par l’intermédiaire de son association Cultur’Prom. La première édition a eu lieu en 2018 avec une tête d’affiche énorme pour les connaisseurs : Sons Of Apollo. Ensuite Luc, un autre grand passionné de métal prog, s’est rajouté à l’équipe pour s’occuper de la com. Nous sommes donc trois depuis 2019 à nous occuper bénévolement de l’organisation du Ready For Prog Festival, et ce n’est pas une mince affaire !
Et quelle est la philosophie du festival ?
Notre ambition est la même depuis le début : programmer des groupes internationaux reconnus et respectés dans leur style musical et offrir une vitrine à un ou plusieurs groupes français, tout en gardant la convivialité et la proximité d’un festival à taille humaine.
Quel est le public du Ready for Prog festival ? des locaux ?, un public régional ? national ? des européens ?
Le public est clairement international. Des gens viennent de toute l’Europe et même du Moyen Orient. Proportionnellement, on a presque plus de personnes qui viennent d’ailleurs que de locaux.
C’est un public jeune, plutôt âgé ou intergénérationnel ?
Tous les âges sont représentés, donc on dira intergénérationnel … même si on ne t’apprendra rien en te disant que le rock et le metal sont des musiques qui touchent moins les jeunes. Mais on se gardera bien de faire des généralités. Le festival a aussi des fans très jeunes.
Le fan de prog metal est-il le même entre la 1ère édition de 2018 et la dernière de 2022 ?
Fondamentalement, il n’y a aucune raison pour que les fans changent. Le problème, c’est qu’ils se déplacent moins qu’avant. Le covid a clairement rebattu les cartes de ce point de vue-là. Quand tu vois que même Dream Theater ne remplit pas le Zénith de Toulouse, même en configuration minimale, il y a vraiment des questions à se poser.
D’ailleurs le prog metal est-il un style en vogue aujourd’hui ?
Non, mais l’a-t-il jamais été un jour ? Le metal est déjà une niche dans la musique. Et le metal prog est une sous-niche de la niche.
Quant à l’aspect prog, beaucoup d’amateurs de rock prog n’écoutent pas eux-mêmes de metal prog, ou très peu.
En vrai, tout ça n’a pas vraiment d’importance. L’objectif du Ready For Prog Festival est de fédérer les passionnés. La vraie question est : combien sont-ils et sont-ils prêts à faire le déplacement ? Nous n’avons pas encore les réponses, et cette édition 2022 a ébranlé les quelques certitudes que nous pouvions avoir.
Mais ce que l’on sait, c’est que la scène metal prog reste très vivante, notamment en France, avec des groupes de grande qualité qui tentent des choses, comme Altesia que nous avons programmé l’an dernier ou Wyvern que nous avons programmé cette année.
Comment voyez-vous l’évolution de la scène metal ?
Bonne question. La réponse va peut-être te surprendre de la part des organisateurs d’un festival super niché comme le nôtre, mais, d’après nous, la scène metal ne pourra évoluer que si elle s’affranchit des barrières entre les styles …
Si tu écoutes le dernier album de Polyphia par exemple, tu te dis que, eux, ils ont vraiment compris. Mais ils sont peu nombreux.
Le danger de s’enfermer dans des chapelles et des styles, c’est de faire de l’élitisme. On connait ça dans le rock prog par exemple, où certains amateurs sont encore en train de se battre sur la définition du terme « progressif ».
On l’a vécu à notre niveau avec Leprous l’an dernier. On a fait sold-out avec un groupe qui ne fait pratiquement plus de metal et encore moins de prog.
Pour nous, le vrai challenge est de savoir doser et d’essayer de faire plaisir à tout le monde, et on peut te dire que c’est un défi tous les ans.
Après, le metal se porte quand même plutôt bien. Le Hellfest affiche complet tous les ans, donc ce n’est pas si mal, à condition d’admettre que tous ceux qui vont au Hellfest y vont pour la musique, ce qui est encore un autre débat …
Comment êtes-vous organisés ? Comment vous répartissez-vous les tâches ? (Démarches commerciales auprès des groupes, programmation, organisation / logistique, communication, gestion, …). Pourquoi ce rendez-vous du Ready for Prog Festival est-il programmé en octobre ? Bref, comment se prépare un festival ? Combien de temps à l’avance ?
En gros, Romain s’occupe de la programmation, Hatem des finances et de l’administratif, et Luc de la communication au sens large.
Mais les grandes décisions se prennent en commun. On a la chance de très bien s’entendre tous les trois, donc on discute de tout ensemble, sur toutes les parties de l’organisation.
Il nous faut bien une bonne année pour organiser le festival, en tout cas avec les moyens dont nous disposons à notre petit niveau.
Mais rendons à Romain ce qui appartient à César, c’est quand même lui qui souffre le plus ^^. Choisir les groupes, c’est facile. Négocier les cachets, ça l’est beaucoup moins. Et gérer les annulations de dernière minute, c’est carrément le gros stress. Les gens ne se rendent pas compte, mais pour programmer 8 groupes, Romain en contacte et négocie avec trois fois plus.
Pour ce qui est du choix de programmer le festival en octobre, la raison est double. On n’a clairement pas les moyens d’organiser un festival en plein air aux beaux jours. La logistique serait beaucoup plus lourde. Et l’autre raison, c’est que d’autres festivals européens orientés metal prog ont lieu en octobre comme le ProgPower Europe aux Pays-Bas et l’Euroblast en Allemagne, et on espère toujours pouvoir programmer des groupes américains qui feraient la tournée de ces festivals, même si dans les faits, ce n’est pas si simple.
Comment analysez-vous la montée en puissance du festival au cours de ses 4 éditions depuis la première, on s’en souvient tous, avec des groupes comme Son’s of Apollo, Caligula’s Horse, DGM, Persefone, … jusqu’à la dernière il y a tout juste un peu plus d’1 mois ? Comment votre stratégie a-t-elle évolué ?
Le festival n’est jamais vraiment monté en puissance pour être honnêtes. Comme tu le dis, on a commencé très fort en 2018 avec Sons Of Apollo, et le public était au rendez-vous. Il l’a été beaucoup moins en 2019. En 2020, le festival a été reporté à cause du covid. On a organisé un crowdfunding qui a bien marché. On en profite d’ailleurs pour remercier à nouveau tous ceux qui nous ont soutenus. En 2021, comme on te l’a dit, on a fait sold-out avec Leprous et en 2022, on est déficitaire. Donc les résultats sont vraiment en dents de scie.
D’ailleurs, si 2021 a été aussi bonne en termes d’affluence, c’est aussi parce que pour beaucoup de spectateurs, c’était leur premier concert après un an et demi de covid, donc ça a dû peser dans leur volonté de venir.
On n’est pas du tout dans la même dynamique que les gros festivals comme le Hellfest, qui peut faire sold-out uniquement sur son nom, sans même dévoiler la programmation. Il faut se rendre compte de la somme de travail que ça représente pour arriver à faire ça. Nous, on est tout petit. Si la programmation ne leur plait pas, les gens ne viennent pas. That’s all.
Y-a-t-il un avant et un après COVID ? A-t’il changé les comportements des festivaliers dans leur mode de consommation musicale ? et les groupes ont-ils eux aussi une autre approche, de nouvelles exigences ?
C’est clair que le constat est plutôt alarmant après cette période covid. Tous les petits festivals ont souffert d’un manque d’affluence cette année. Et pas que les festivals, les concerts aussi. Sur Toulouse par exemple, 2022 est une année noire pour le metal prog en ce qui concerne la vente de billets.
D’autant plus que certains groupes, ou du moins leur management, ont clairement revu le montant des cachets à la hausse. On peut les comprendre, après un an et demi sans pouvoir faire de concert, alors que pour beaucoup c’est leur principale source de revenus. Mais si le montant des cachets augmente et qu’il y a moins de public, inutile de te faire un dessin sur ce qui se passe en termes de rentabilité pour les concerts. Sans compter que pour amortir, on est obligé d’augmenter le prix des billets, ce qui pénalise les gens qui ont moins de moyens et qui ont déjà des difficultés à finir les mois. Le cercle vicieux s’installe, et la tendance risque fort d’être la même en 2023.
Pour être francs, parfois on se dit qu’on est des grands malades de mettre autant d’énergie dans l’organisation d’un festival et qu’on serait mieux avec un plaid devant Netflix.
Mais pour l’instant, la passion est toujours là. Et pour tout te dire, chacun de nous trois s’est trop investi dans ce festival pour avoir envie de lâcher maintenant. Et puis, quand on voit à quel point ceux qui viennent sont heureux de pouvoir découvrir des groupes et d’assister aux concerts des têtes d’affiche, ça nous donne vraiment la force de nous battre.
Le 29 octobre dernier a donc eu lieu la 4e édition du RFPF. Changement de décor, vous passez de la salle du Métronum à Toulouse à la salle du Bascala à Bruguières à 20 km de Toulouse et de 2 jours à 1 jour avec 8 groupes à l’affiche. Qu’est-ce-qui a guidé cette nouvelle orientation ?
Merci pour cette question qui va nous permettre de remettre un peu les pendules à l’heure, parce qu’on a pu entendre et lire n’importe quoi à ce sujet. C’est en partie de notre faute car on n’a encore jamais communiqué là-dessus, donc il semble qu’on a nourri nous-mêmes certains ragots sans le vouloir. Cela dit, rien n’empêche les chroniqueurs de demander avant d’écrire des bêtises, on répond toujours aux questions qu’on nous pose… Bref …
Le changement de lieu n’est dû qu’à une seule chose : le Metronum n’a pas voulu de nous cette année. Point.
On a mis 6 mois pour trouver une salle qui pouvait correspondre à l’événement. Le Bascala nous a accueilli les bras ouverts, et on les en remercie encore.
Mais deux soirées au Bascala étaient inenvisageables financièrement. Raison pour laquelle le festival s’est tenu sur une seule journée. Sans compter qu’on n’a pas réussi à obtenir les navettes qu’on espérait pour ramener les gens de Bruguières à Toulouse en fin de soirée. Certains spectateurs n’ont pas fait le déplacement à cause de l’absence de transports en commun après minuit. Ça aurait été encore pire deux soirs de suite.
Tous ceux qui ont dit, écrit, ou suggéré qu’on a eu des rêves de grandeur vont être déçus, mais c’est la stricte vérité. Nous savons très bien quelle est notre place en tant qu’organisateurs de festival.
Quel bilan faites-vous de cette 4e édition ? Je sais que le nombre d’entrées a été insuffisant pour couvrir les frais avancés. Quel est l’avenir du festival ?
Tu l’as dit. Le nombre d’entrées a été insuffisant pour amortir, et le festival est déficitaire cette année. Son avenir dépend de beaucoup de facteurs. Mais le premier, comme d’habitude, reste l’argent. Il faut savoir que certains groupes demandent des avances sur cachet pour se déplacer. Quand tu n’as aucune subvention et que les caisses sont vides, ça devient compliqué. Chacun de nous trois a déjà investi pas mal d’argent à titre personnel dans ce projet. On est arrivé au maximum de ce qui est acceptable pour nos familles. Il ne faudrait pas non plus que le festival soit une cause de divorce pour l’un d’entre nous. Soyons clairs, on n’est pas là pour se plaindre, on l’a bien voulu. Personne ne nous y a obligé. On essaye juste de répondre à tes questions sans langue de bois.
Merci à tous les 3 pour le temps que vous nous avez accordé. On croise les doigts pour une 5e édition du Ready for Prog Festival. D’ailleurs comment peut-on vous aider ?
On va certainement faire un appel aux dons, mais on aimerait que les gens aient droit à une contrepartie en échange de leur participation financière éventuelle. Nous avons encore quelques détails à régler, mais c’est en bonne voie pour proposer quelque chose de cohérent. Après, les gens donneront s’ils le peuvent et s’ils le souhaitent. On connait très bien les difficultés économiques actuelles et ce qu’elles impliquent dans leurs vies. Mais si chaque fan du festival donne quelques euros, ça nous permettra d’envisager l’avenir plus sereinement.
Un grand merci à toi pour cette interview.
Retrouvez toutes les infos sur le festival :
www.readyforprogfestival.com
www.facebook.com/readyforprogfestival














































































































