« Jouer quatre accords, ça m’emmerde !”
Interview réalisée par Christophe Favière et notre partenaire Eternal Webraradio

Démago
Album : Camarade X
Label : Autoproduit
Sortie : 21 octobre 2022
01. Qui Vivra Verra
02. Jim
03. La Chute D’Icare
04. Le Frisson Du Vent
05. Camarade X
06. Au Suivant
07. L’Hymne A La Joie
08. Il Est 8h
09. Sonya
10. Le Démon
11. L’Armée Des Ombres
12. L’Homme Augmenté
Line Up
Maün : chant/guitare
Bleach : guitare/choeurs
Hacen : basse
Albattor : batterie
Pour commencer, tu te présentes et tu présentes le groupe.
Maün : alors je suis Maün du groupe Démago, groupe de rock français et on sort notre troisième album. Et dans le Line Up il y a Hacen à la basse, Albator à la batterie et Bleach à la guitare.
Vous ne venait pas du même milieu musical. Comment s’est passé votre rencontre ?
Maün : tout à fait. En fait, on s’est rencontré tout simplement sur les bancs de la fac. Bleach et moi étions tous les deux en cursus d’anglais et rapidement au lieu de réviser les verbes irréguliers, nous avons commencé à prendre les grattes. Sachant que lui venait vraiment du jazz et des musiques Black, et moi je venais plus des Bérurier noir. Mais j’écoutais aussi Satriani ou NTM et c’est ce qui a fait cet enrichissement. Nous avions des vraies choses à nous apprendre. Lui était dans le groove, et moi dans l’intention. Parfois, ça a donné des incompréhensions car il cherchait pas mal à adoucir le propos lorsque moi je cherchais à le grossir. C’était le Ying et le Yang.
Du coup, comment vous-tu défini votre musique ?
Maün : je dirais que c’est tout simplement du rock français qui va chercher un peu partout. Dans l’électro, le rock Prog, le métal, le rap… En fait on ne s’interdit rien. Pour moi la richesse c’est le décloisonnement. Même s’il faut tout de même qu’il y ait des codes pour que ce soit assimilé à du rock. Mais comme disait Duke Ellington, « l’essentiel c’est que la musique vous parle. »
Et justement est-ce que le fait de ne rien s’interdire ne fait pas perdre du temps à trop chercher la variété ?
Maün : c’est un reproche qu’on a pu nous faire parfois, mais tant pis, ça fait partie du jeu. Nous, nous avons envie de faire ce que nous aimons, et pas d’être mis dans une case.
Je parlais plus en termes de temps de travail lorsque vous composez…
Maün : pas trop même si on s’en rend compte. Il y a tout de même le fil rouge des textes qui fait son travail. Le chant vient tout de même fédérer l’ensemble des musiques. À la base on a tout de même tendance à écouter les paroles. Pierre Boulez disait que l’oreille humaine n’était capable d’écouter qu’un seul élément à la fois. Et chez nous en l’occurrence le champ a beaucoup moins de variation que la musique, et je trouve que ça rend l’ensemble plutôt cohérent.
Il y a aussi le message que vous faites passer, c’est assez politique et sombre.
Maün : c’est complètement politique, mais je ne trouve pas que cela soit sombre. Pour moi, « Camarade X » est un album de combat, de résilience. Je ne dis pas que c’est un album où on va sortir les cotillons, mais je ne trouve pas ça si sombre.
Sébastien (Eternal Web Radio) : Au contraire, moi je trouve que les paroles sont sombres, mais que la musique plutôt entraînante. Si on se concentre sur les paroles, c’est assez sombre, mais si on se concentre sur la musique, cela va nous divertir et nous ambiancer un petit peu. C’est comme ça que je l’ai ressenti. Il y a 14 ans entre « Camarade X » et « Hôpital », pourtant je trouve que c’est plus la suite d’« Hôpital » que de « BatTement ». Je me trompe ?
Maün : Pas du tout, c’est complètement ça, nous avons fait un retour aux sources. « BatTement » était très produit, très électro rock, puisqu’à l’époque, nous n’avions pas de batteur. Pour « Camarade X », nous avons décidé de retourner à une formation rock en bandoulière et taillée pour nous faire suer.
Sébastien (Eternal Web Radio) : J’ai le sentiment que l’album raconte l’histoire du point de vue de l’humain et que le dernier titre « Hôpital » ouvre sur « Camarade X ». Et d’un seul coup c’est la société qui est comme ça, on va la subir et on va terminer avec les hommes augmentés. J’ai vraiment ressenti de la continuité en écoutant tout ça.
Maün : Parce que je pense qu’il y a une vraie cohérence. J’essaye d’éviter de me répéter. C’est moi qui signe les textes. Et en général on sait de quoi je parle. Effectivement « Hôpital » ouvre vers « Camarade X » et élargi le prisme. On plonge complètement dans la société, il y a moins de moi je. Par exemple l’« Homme augmenté » était le titre sur lequel on se devait de clôturer l’album. Cela parle de l’omnipotence de la machine, à quel point elle nous asservi elle nous prolétariser en termes de connaissances. C’est le propos de ce Trans-humanisme qui tous les jours nous mange et gagne du terrain
Ça pour le coup c’est pessimiste !
Maün : Oui c’est sûr !
Mais pour toi, il y a encore un peu d’espoir, car comme le soulignait, Sébastien, vous avez des textes assez dur, mais la musique est plutôt légère, c’est assez rock ‘n’ roll alors que du metal bien lourd aurait été plus cohérent avec le propos.
Maün : Il ne faut pas non plus baisser les bras, mais il est clair que je ne suis pas optimiste. Nous sommes dans une civilisation qui s’effondre. Je pense que tout le monde le voit, cela ne sert à rien de se mettre des œillères. Après je fais mon rôle d’artiste, je me mets au milieu de la société et j’observe. Si j’observais que le soleil briller pour chacun de nos concitoyens. Je ne ferai pas ce genre d’album. Je suis dans une position d’éditorialiste et je ne m’interdis rien. Je suis libre, je traite de tout ce que j’ai envie de traiter, de choses qui m’inquiète, de choses que j’ai envie de défendre. Donc forcément actuellement je ne suis pas très optimiste pour notre futur. Mais avoir appelé cet album, « Camarades X », c’est un peu un appel à se tourner vers le collectif, alors que notre futur lui se dirige vers l’atomisation. Je n’ai pas remarqué de grands mouvements collectifs qui visait à faire changer les choses. J’observe plutôt une atomisation, toujours nous pousser à la consommation. Par exemple il y a 10 ans lorsqu’on parlait de Black Friday. Il y avait plus de la moitié des gens qui ne savait pas de quoi on parlait. Aujourd’hui tout le monde connaît le Black Friday et il est presque vain de résister.
Sébastien (Eternal Web Radio) : ça, c’est plutôt lié à l’arrivée d’Amazon. Le black Friday aux États-Unis a une véritable histoire qui ne peut pas être dans notre culture comme Thanksgiving. Mais il est vrai que notre façon de consommer a énormément changé.
Maün : Tout à fait ! C’est ce que j’observe et après j’en fais des chansons. En revanche, j’ai parfaitement conscience qu’avec notre propos, les gens n’aient pas envie d’écouter démago. Ça ne me dérange pas, je le comprends.
Tu t’es déjà fait attaquer sur tes textes ou sur ton engagement ?
Maün : Non, mais je peux comprendre que lorsque l’on rentre du travail, on n’ait pas envie d’écouter des chansons un peu chargées de messages. Une chanson comme « Le Démon », on ne peut pas écouter ça avant de boire l’apéro ! (Rires)
Sébastien (Eternal Web Radio) : oui mais quelque part ça peut éveiller des consciences.
Maün : Oui, moi c’est une chanson que j’aime bien et que j’ai écrit en une heure un dimanche matin.
Il y a aussi beaucoup de personnes qui n’aime pas écouter de la musique légère.
Maün : Oui c’est ça, par exemple moi, je n’écoute rien de léger. Je viens de Nirvana donc voilà… C’est mon école musicale. C’est aussi pour ça qu’on a cherché à sonner 90, on voulait que la batterie claque vraiment, pas comme dans la plupart des productions aujourd’hui.
Sébastien (Eternal Web Radio) : c’est vrai que Albator, il est très bon !
Maün : Oui, c’est un vrai batteur de rock.
Pour en revenir à la musique, quel est votre process.
Maün : Nous sommes deux à composer, Blonde et moi. Ensuite on s’échange les fichiers. C’est un ping-pong constant. Mais ça part toujours de la musique.
Et donc toi tu viens poser tes textes dessus ?
Maün : Nous avons chacun nos morceaux, on bosse dessus, on pose les grattes, je m’occupe des progs de batterie, de basse. Puis nous continuons le ping-pong et j’essaye de chanter si la chanson m’inspire. Parfois ça ne fonctionne pas même si j’adore la musique, donc on jette. Il n’y a pas de règles.
Les deux autres n’interviennent pas du tout ?
Maün : Pas au début. Une fois que le ping-pong est terminé, nous leur envoyons le morceau. Déjà pour éviter trop d’avis, et aussi parce que c’est une vraie facilité de travailler à deux. Après pour la basse et la batterie, bien évidemment qu’ils retravaillent les morceaux avec leur technique. Nous ne faisons que poser des bases pour les morceaux et eux font leur boulot de compo. Le but c’est qu’ils apportent leur richesse. Ensuite, cela part au mixage. Et là, tous les ingés son te le diront, c’est l’horreur de mixer avec le groupe, pour cette raison, lorsque l’on fait mixer nos albums, nous ne sommes jamais là. Si on a choisi par H.K Krauss de Vamacara Studio, c’est qu’on lui fait confiance, donc on lui donne et on lâche prise. Et il a zéro directive. On lui a envoyé l’album en lui disant vas-y fais ton truc. Et on a adoré son travail.
Cela se ressent, votre musique assez riche
Maün : C’est une musique qui est très écrite. Ce sont des changements d’accord constant. Nous ne sommes pas dans des boucles. La tendance actuelle c’est d’avoir quatre accords et de les faire tourner pendant trois minutes 30. Je ne sais pas le nombre d’accord qu’il y a sur cet album, mais ça change tout le temps.
Dans la structure c’est presque jazz.
Maün : Cela vient de Jérémy, son père est jazzman et il l’influence beaucoup. Au bout de quatre accords, il s’emmerde. Donc on change. Mais il m’a contaminé, puisque moi aussi maintenant jouer quatre accords, ça m’emmerde. (rires). Donc on fait beaucoup de renversement pour apporter une richesse harmonique, et forcément cela me fait chanter différemment.
Et les samples ?
Maün : Toute la partie électronique c’est moi qui m’en charge. J’aime beaucoup ça.
Lorsque vous composez, est-ce que vous pensez à la scène ?
Maün : Cela dépend. Mais pour cet album, oui, nous y avons pensé. « BatTement » était vraiment une plaie à faire tourner sur scène. Trop de machines. Nous avons commencé à jouer de morceaux de « Camarade X » sur scène avant ce putain de confinement, et nous nous sommes rendu compte que cela donné un bon coup de boost aux concerts. C’est aussi pour ça que nous sommes retournés à des instruments plus basique et des tempos Up.
Vous réarrangé les morceaux pour la scène ?
Maün : Très peu. On considère que l’on a envie de défendre ce que l’on a écrit mais une fois de plus on ne s’interdit rien à partir du moment où ça sonne mieux. Mais dans l’ensemble on reste plutôt fidèle au disque.
C’est mieux quand ça reste fidèle.
Maün : Personnellement, lorsque je vais voir un artiste, je n’aime pas trop quand ça change, mais il y a des gens qui adorent. C’est pour ça qu’on essaye de faire ça pendant les Show, d’amener quelques surprises, ou en jammant. Mais pas trop non plus, j’aime bien quand les concerts sont à fond.
Moi aussi, mais parfois j’aime bien être surpris pendant les concerts. Sinon autant rester chez moi, écouter l’album !
Sébastien (Eternal Web Radio) : Oui, en fait tu as le même morceau, mais pas avec la même énergie.
Effectivement, l’énergie ne vient plus de la musique, mais de l’humain.
Maün : C’est exactement ça. Il y a de la facilité à être en studio, même si c’est aussi stressant pour un artiste d’enregistrer. Sur scène il n’y a pas de filet. Par exemple, « Camarade X » est assez compliqué à jouer sur scène. Je chante en même temps que je joue de la guitare sur des tempos à 180 ! C’est funambulesque !
Sébastien (Eternal Web Radio) : Ce n’est tout de même pas toi qui fais les petites voix ! (Rires)
Maün : Non, il y a des limites ! (Rires) C’est Albator qui fait les réponses.
Une petite anecdote de studio ?
Maün : En général cela se passe assez bien. Je suis assez zen en studio contrairement à ma vie courante. Je ne me prends pas trop la tête. Mais sur « Hôpital », un soir je suis tout seul dans le studio, je suis épuisé, il doit être une heure du matin. La deuxième chanson « L’Œil » démarre, j’appuie sur la barre espace, et là j’ai pleuré pendant une ou deux minutes de fatigue. Je n’en pouvais plus. L’enregistrement de ce disque a été long. On a usé les gens ! Sinon, toujours sur « Hôpital », on se faisait des pauses et on matait « Questions Pour Un Champion » avec Jérémy. On faisait des concours pour savoir qui allait gagner, et on a failli se foutre sur la gueule pour une question à la con ! Ce qui prouve qu’il y a tout de même des tensions créées par le studio. C’est normal, ça use, il faut enchainer les prises… ce n’est pas simple.
Et finalement, qui a gagné ?
Maün : Ils ont dû nous séparer ! (Rires) Une heure après on en rigolait !
Une anecdote de scène ?
Maün : Le problème des machines ! Tout est calé et il y en a un qui ne part pas. Je me rappelle sur « Paris Ne Répond Plus », Albator est parti un temps trop tôt, et là tu vis un enfer ! La machine elle, continue, et tous les trois on est en train de tomber. Et par miracle on a réussi à retomber sur nos pattes trente secondes après et je crois que le public n’a rien vu ! Mais pour nous c’était lunaire !
La petite question qui fâche. Ce n’est pas un peu paradoxal pour quelqu’un qui tient un discoure contre les machines qui avilissent l’homme, et d’utiliser autant de machines ?
Maün : C’est vrai sur « BatTement » mais pas sur « Camarade X ». Nous n’avons pas utilisé de machines sauf sur « L’homme Augmenté », mais là c’était au service du propos. Mais c’est aussi mon côté rat de laboratoire, j’adore bidouiller ! Mais sur scène je n’aime pas les machines. Donc oui, paradoxe. En même temps je n’aime pas les gens lisses, parfaits, ça m’emmerde ! J’aime les aspérités, les paradoxes, donc oui, je l’admets, c’est paradoxal, mais c’est comme ça !
Je te laisse le petit mot de la fin
Maün : Déjà merci à vous de travailler le dimanche, ce n’est pas dans le code du travail !
Sébastien (Eternal Web Radio) : Mais là on ne travaille pas, on s’amuse !
Maün : Blague mise à part, merci de vous intéresser à nous. Nous aurions aimé trouver un label pour nous accueillir et défendre un peu plus cet album. Cela a été dur de trouver des partenaires sur cet album, mais c’est comme ça.
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